mardi 11 novembre 2014

Onze novembre






Mots tordus et noircis et brûlés,
Mots déchaînés, mots rugissants, mots mutilés,
Mots vacillants et pendus, 
Pantelants, à la bouche de l’orateur,
Certitudes pour panégyriques  et décorations ;
Imprécations et voiles de tulle sombre, horreur
Muette, pourriture et décomposition,
Blessures et cicatrices, tranchées et saignées,
Héroïsme à en mourir, à en crever
Et, pour finir, béant,
Le trou.


extrait de "Ephémérides"
recueil de poèmes, 2002-2008 

vendredi 17 octobre 2014

Gina

Gina

A Gênes, Gina joue les divas
Sans gêne, elle fait sa java :
Gainée de noir, elle s'expose,
Rend des oracles, prend des poses.

Des gens divers révèrent ta prose, Gina,
Des gens moroses lisent tes vers, Gina ;
De sévères savants les vénèrent, de Genova,
Des exégètes en font la glose, de Liguria,

Tandis d'autres crient à l'imposture.
Toi, tu souris, Gina, tu n'en as cure :
Ceux qui font de tes mots des monuments
Sont des légistes qui dissèquent le vent.

vendredi 26 septembre 2014

Un tragique pour la post-modernité ?


     En ayant désenchanté le monde, les sociétés post-modernes auraient-elles écrit l’acte de décès de la tragédie ?
     Sous un Ciel vide, l’individu, nu et sans armes, serait entièrement libre de choisir son destin. Il n’aurait plus à se consacrer qu’à lui-même dans le bonheur de dominer le monde grâce à un progrès technique indéfini, qui pourrait le conduire un jour jusqu’à l’immortalité. Il n’y aurait plus de Drame de la vie.
     Voire. Dans un univers dépourvu de sens, la succession des jours devient progressivement répétition, sans fin ni commencement. La destinée humaine se fait Noria, mais noria triste.
     Car la douleur n’est pas abolie et la noirceur demeure dans le monde et dans le cœur de l’homme, à la fois sapiens et demens, capable du sublime et du plus sordide. Et le sordide n’est pas seulement l’apanage des autres, des monstres : c’est en chacun que sommeille la bête, celle qui piétine autrui pour le dominer ou qui l’étouffe sous trop de sollicitude ou de dépendance.
     Aussi le désespoir semble être le sort des plus lucides. Comme par un châtiment, mais un châtiment sans cause, sans faute, autre que la naissance  elle-même. La vie serait ce destin qui s’acharne sur vous, sans autre but que de vous conduire à la mort. L’absurdité serait totale, la vie un simple couloir et la dérision la seule parade. A moins que ce ne soit la violence.
     Mais alors pour ceux qui veulent vivre,  être heureux, le grand nombre, qu’en serait-il ? Dans le quotidien comme devant les coups du sort, ils n’auraient d’autre alternative que la fuite en avant dans l’oubli ? Doublée d’une terrible angoisse ? Perspective étriquée que domine le Principe de Précaution.
     A moins que l’individu ne soit pas aussi libre de ses choix qu’il ne le croit ? Et donc pas aussi seul qu’il ne l’imagine. Ou qu’un de ces retournements de fortune dont l’Histoire a le secret ne pose tôt ou tard le problème autrement ? 
     Ou encore que l’humanité voie s’ouvrir une nouvelle ère pour le mythe et   le symbole ?


                       Postface de Une Femme (enquête)
   Editions L'Harmattan, collection Théâtre des 5 continents, 2014