La réforme, 2005, extraits

La réforme
Comédie




Personnages 
Par ordre d’apparition


Geneviève Schmall, 45 à 50 ans, directrice d’un service central au ministère
Jérôme Mirecourt, 30 ans, chef de bureau au ministère
Georges Barine, 50 ans, ministre
Nicolas Rouvillains, brillant énarque de 35 à 40 ans, son directeur de cabinet
André Markovic, 45 à 50 ans, conseiller technique auprès du Premier Ministre
Rachida Benthamida, 25 ans, jeune journaliste au « Microcosme »
Des fonctionnaires ( 3 ou 4 )
Les représentants des lobbies ( une dizaine ).


Première partie


Scène 1

                   Une grande boite domine la scène, sorte de bière aux dimensions disproportionnées, faite en bois de pin mal équarri, ou de tout autre matériau brut.  Elle est   disposée au milieu d’une sorte de hall d’exposition, qui sert également de salle de conférence.

Schmall : Je vais vous montrer. Elle conduit Jérôme devant la boite et ce dernier y dépose les dossiers sous lesquels il ploie. Tels qu’il les pose, ils débordent de la boite. Je vous présente le cadre de la Réforme de l’Etat. Tout doit entrer là-dedans. Tout : la simplification des règles administratives (c’est notre objectif de toujours), la mise en paramètres de toutes les formes d’activité, les attentes des usagers et la déclaration de politique générale du Premier Ministre, sans oublier les Recommandations internationales, le développement des pays les plus pauvres et la sauvegarde de l’équilibre écologique planétaire.
J’y ajouterai la défense des intérêts des professions de santé et des dragueurs de mines, des anges d’apocalypse et des hippocampes, la protection des chefs d’œuvre en péril et des chefs d’orchestre, des poulets fermiers et des policiers méritants, et enfin, pour couronner le tout,   le soutien aux ligues de vertu et aux pratiques sybaritiques…
Jérôme : Tout cela ?
Schmall : Oui, et dans un cadre aussi  ramassé. C’est remarquable, non ?
Jérôme : Certainement.
Schmall : C’est tout ? Vous en êtes vraiment  persuadé ? Signe d’approbation de Jérôme. Alors montrez-le. Ne prenez pas cet air coincé. Souriez ! Là ! C’est mieux. Redressez-vous encore. Jérôme se redresse, mais reste un peu voûté. Maintenant on sent en vous à la fois l’énergie et la bienveillance.
Jérôme : Je vous remercie de me trouver ces qualités. Parfois, je dois donner l’impression d’être un peu ailleurs... C’est vrai que j’ai un côté rêveur : j’essaie de trouver du sens à ce que je fais.
Schmall : Il est charmant ! Trouver du sens ! Mais personne ne vous le demande, ne vous inquiétez pas pour ça. Allons, montrez-moi votre projet annuel d’activité. Jérôme lui tend un document. Schmall le parcourt rapidement. Pendant ce temps, et durant tout l’entretien, à intervalles réguliers ou non, comme on voudra,   des fonctionnaires en costume gris, tous identiques, viennent déposer dans la boite des documents ou des dossiers, quitte à ce qu’elle déborde. Voyez-vous, mon petit Jérôme, il y a un moment que je vous observe. Vous avez de remarquables qualités, encore sous-employées…Si, si…Vous ne croyez pas assez en vous. Vous êtes jeune, brillant, et vous êtes promis à un bel avenir… Non, non, ne prenez pas cet air étonné.
Jérôme : Je ne voudrais pas vous décevoir.
Schmall : Me décevoir ? Ne vous inquiétez pas, je sais discerner les talents.  Laissez-moi vous guider, je vous ferai bénéficier de mon expérience…Croyez-moi, votre carrière s’en ressentira.
Jérôme : Vraiment ?
Schmall :  Oui, et ne perdons pas de temps. Je vous explique. Le plan de travail que vous me proposez est très bien, mais il n’est pas assez ambitieux. J’ai préparé un projet qui est à la mesure de ce qu’on attend de nous. J’aurais aimé que vous le lisiez et que vous me fassiez part de vos suggestions.
Jérôme : Je doute de pouvoir améliorer votre travail.
Schmall : Ne faites pas le modeste. Je suis sûre que vous ne croyez pas ce que vous dites... Quoique, je l’admets, on puisse se poser des questions parfois. Moi-même, je me permets de vous le dire, je me reconnais des limites. A votre contact, on se sentirait parfois pris de doutes.
Jérôme : De doutes ?
Schmall : Oui, Jérôme, auprès de vous, j’ai l’impression de redécouvrir le jeune-fille en moi, encore fraîche et timide.
Jérôme : Je vous imagine aisément, douce, effacée, timide.
Schmall : Ne vous y trompez pas, sous des dehors actifs, se cache une âme tendre, presque enfantine. Si vous m’entendiez rire, parfois…
Jérôme : Rire ? Oui, bien sûr… Pourtant, si je peux me permettre une remarque, l’humour n’est pas ce qui transparaît le plus chez vous.   
Schmall : Oh ! qu’il est mignon. Voudriez-vous que nous en reparlions ? Je vous invite à dîner ce soir.
Jérôme : Je suis désolé, Madame la Directrice…
Schmall : Appelez-moi Geneviève.
Jérôme : Je suis désolé, mais j’ai déjà un rendez-vous.
Schmall : Un rendez-vous ? Vous ne pourriez pas le décommander ?
Jérôme : Je regrette…
Schmall : Très bien. Je vois. Ce n’est pas à cause de cette petite journaliste qui ne cesse de vous tourner autour ?
Jérôme : C’est à dire…
Schmall : Inutile de m’en dire plus. J’ai compris. Vous le regretterez peut-être un jour… En attendant je compte sur vous pour mon projet. Je sais que je le peux, n’est-ce pas ?
Jérôme : Certainement. Il amorce un départ. J’allais oublier, le Cabinet a téléphoné : il faut que vous rappeliez M. Rouvillains. C’est urgent.
Schmall : M. Rouvillains ? Vous n’auriez pas pu me le dire plus tôt ?
Jérôme : Vous ne m’avez pas laissé le temps…
Schmall : Nous n’avons pas été mis en cause par les médias ?
Jérôme : Non, pas que je sache. J’ai cru comprendre qu’il s’agit d’une nouvelle réforme.
Schmall : Une nouvelle réforme ? Tiens donc, quand on a besoin de moi, on se souvient que j’existe. Malgré tout, M. Rouvillains en personne, je suis surprise. Je vous remercie. Jérôme sort, suivi par Schmall. Aussitôt la boite est soulevée du sol, à moins que le fond ne s’ouvre.  En tout cas elle se vide de son contenu. Les dossiers qui la remplissaient sont ramassés par les fonctionnaires en gris et emportés dans des cartons d’archives ou des caisses de déménagement. Quand ils ont fini leur travail, la boite revient à l’horizontale et se retourne, faisant apparaître une sorte de machine-outil, avec de nombreuses manettes, voyants et tuyaux et l’un des fonctionnaires y ajoute un énorme massicot.  Entrent Barine et Rouvillains.    




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