Aversion, 2010, extraits

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     D’abord,  l’odeur, une pestilence : des relents de cuisine, de chiottes et de déodorant bon marché, comme celui de mes copains de lycée.  Envie de vomir, de repartir de cet endroit où tu n’as même pas envie de t’asseoir. Surtout, il ne faut rien montrer au mec qui est là, qui te regarde entrer.
         Les copains de lycée ! Leurs parades, leurs pauses de matamores, leurs exploits dérisoires, racontés comme des campagnes : «  On n’est pas des tapettes, personne nous commande »… Conformisme masculin auquel personne n’ose déroger.  Masculin. Maculé, comme les premières taches de sperme sur les draps. Emasculé, comme les victimes sur les photos. Brutal comme les mains qui te poussent dans un fourgon. Goguenard et empestant l’alcool, le tabac ou le shit.
     J’ai mon paquetage dans les bras, l’autre est debout sur un tabouret pour chercher l’air près de la fenêtre. Il se retourne vers moi : un grand type, un peu voûté, costaud. Il  descend de son tabouret. C’est toi le nouveau ?  Ils  m’ont prévenu de ton arrivée, il paraît que t’as pas le moral, c’est vrai ça ? Je te préviens, je suis pas dans le genre infirmière, je vais t’expliquer comment ça se passe, après tu te débrouilleras tout seul. T’es un homme, pas vrai ?
     Un con, pas de chance. Je lui ne réponds pas, même s’il est arabe comme moi. Je fais juste un signe de tête. En face de moi, il se dandine légèrement d’une jambe sur l’autre, les mains dans les poches, l’air maladroit.  Je ne distingue pas bien son regard. Pas moyen de le toiser, de me faire respecter.
     C’est lequel mon lit ? Celui du bas, à cause de l’air, tu comprendras mieux cette nuit.
      Je pose les draps et la couverture sur le lit, je cherche l’endroit pour la cuvette et la vaisselle. Il me fait signe du doigt. Une vraie conversation d’hommes, pas besoin de mots… Je me retourne vers l’endroit qu’il me désigne. Un cafard court par terre, en direction de la poubelle. Pleine, la poubelle, elle déborde comme une merde qui serait écoulée du pot où ta mère t’apprend à être propre… Autour, le sol  est carrelé, couleur beige, marronnasse, avec des éclats ici et là, des carreaux fendus, où la crasse s’incruste. Certains sont d’une autre couleur. A un endroit, même, on a remis de niveau avec du ciment, mal lissé. Les murs, au dessus sont bleu ciel, avec des retouches un peu plus sombres, sales eux aussi.
      Je respire un coup et je commence à ranger mon linge sur une étagère, comme la fois où j’avais fait une retraite chez les jésuites pour la préparation à la Communion. J’étais innocent, alors, et pur encore et pour la première fois loin de ma mère, de mon frère et  de mes sœurs.  
     Tu sais comment on m’appelle ? demande le grand type.
Rien à foutre, je pense en moi-même et je ne réponds pas.
     Il est assis à la table de la cellule maintenant. Very, mon nom est Very, et me regarde pas comme si j’arrivais du cyberspace, Very, comme dans « very nice »,  mais attention, ne va pas me prendre pour une tarlouze, non, “Nice”, c’est le petit nom que me donnent les dames…
     Je l’écoute raconter son boniment ou, du moins je fais semblant. Un néon éclaire la table et le type, trente-trente-cinq ans, visage large, mâchoires saillantes, nez épais, massif, déformé (reste d’une fracture, ai-je pensé), yeux marrons, enfoncés dans les orbites, sourcils fournis, cils épais et longs, chevelure abondante et frisée, noire, front large et haut, bouche fermée et mince. Un ensemble curieux et pas en harmonie avec le bonhomme : il est plus fin qu’il n’y paraît. Se méfier. Il est renversé sur la chaise, les jambes allongées devant lui, vautré. Mais l’œil est vif et te regarde de côté.
      Il continue de parler : En fait ici, tout le monde m’appelle Nick, retiens ça, tu dis que tu partages la cellule de Nick, tu verras, tout d’un coup, il y aura comme un courant d’air autour de toi, un silence, le respect, quoi.
     Oui, je réponds, pour être tranquille, mais il n’en a pas fini : Alors, qu’est-ce qu’on dit ? Comment, qu’est-ce qu’on dit, je demande.  On t’a pas appris qu’on dit : « merci », crie-t-il, décidément, il faut tout leur dire à ces jeunes. Tu sais pas non plus qu’on se présente, non, incroyable, dis-moi comment tu t’appelles ?… L’odeur ne me quitte pas. J’ai l’impression d’être sale de l’intérieur… Eh ! Je te parle ! Sa voix me parvient, comme veunue de loin. Abdel, je réponds. Je m’appelle Abdel.



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